mercredi 17 février 2016

Jamais assez maigre Journal d'un top model

Après avoir vu l'interview de Victoire Maçon Dauxerre, j'ai eu envie de lire son histoire, parue en 2016 aux éditions Les Arènes.



À 17 ANS, EN PLEINES RÉVISIONS DU BAC, Victoire fait du shopping à Paris, quand elle est repérée par un chasseur de mannequins. Engagée par l’agence Elite, elle mesure 1,78 m et pèse 56 kg. Trop grosse ! Ou pas assez maigre. Elle va perdre 9 kg en ne mangeant que trois pommes par jour, afin de répondre aux exigences tyranniques des maisons de couture.
EN SEPTEMBRE, ELLE ATTEINT LA TAILLE 32, sésame indispensable pour briller lors des castings, et participe avec succès à sa première fashion week à New York. Avec Milan et Paris, elle enchaîne vingt-deux défilés pour les plus grands créateurs : Céline, Alexander McQueen, Miu Miu, Vanessa Bruno... Elle entre dans le Top 20 des mannequins les plus demandés.
MAIS DERRIÈRE LA SOIE ET LES PAILLETTES, Victoire découvre un système inhumain : des adolescentes que l’on prend pour des femmes sont traitées comme des objets. La sélection est impitoyable et la maigreur devient une obsession. Elle est emportée dans la spirale de l’anorexie. Sept mois après ses débuts fracassants, elle fait une tentative de suicide et passe des podiums à l’hôpital.

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On se doute bien que la vie de mannequin est loin d'être rose et ce n'est pas la première fois que l'on parle de l'anorexie, malheureusement omniprésente dans ce milieu. Mais ce qu'on découvre dans ce livre, c'est la manière dont ces jeunes filles sont traitées, le mépris permanent des professionnels de la mode à l'égard de leurs faire-valoir interchangeables et remplaçables.
"Vous êtes merveilleuse, magnifique, formidable, vous allez devenir un super top model!" Mais dès que le contrat est signé, le discours et l'attitude changent. Entre son agent qui se goinfre devant elle mais qui l'engueule dès qu'elles mange autre chose qu'une pomme ou une feuille de salade, parce que hé ho faut pas déconner, faut rentrer dans les fringues, les directeurs de casting qui traitent les filles comme du bétail sans même leur adresser la parole alors qu'elles ont attendu des heures et les stylistes que ne créent que des vêtements taille 32, on se demande ce qui est le pire. Sans oublier les photographes qui les font poser dehors en sous-vêtements au mois de décembre, les buffets bas de gamme avec plats en sauce qu'on leur prévoit (quand on leur prévoit à manger!) tandis que les autres mangent du bio, les coiffeurs massacreurs de cheveux avec leurs produits toxiques et la compétition acharnée entre les filles.
Ces filles qui à forcent d'être maltraitées, malmenées, affamées, deviennent à leur tour maltraitantes avec les maquilleurs, les habilleuses, les chauffeurs de taxi...  Là où on leur fait miroiter une vie de star, elles ne trouvent finalement que du harcèlement moral poussé à son paroxysme et un silence assourdissant autour de l'anorexie.
Comment en est-on arrivé là? Qui déteste à ce point les femmes pour vouloir les faire disparaître en gommant tout ce qui les caractérise jusqu'à les faire ressembler à des cintres? Oui des cintres. Car quelle femme adulte en bonne santé porte du 32? Personne. Pas même ces chères clientes de la haute société qui achètent de la haute couture. Alors pourquoi créer des vêtements que personne ne pourra porter en l'état? Pourquoi demander à ces jeunes filles de maigrir à ce point pour après retoucher les photos et leur rajouter des rondeurs là où il en manque? Parce que sans ça, soyons honnête, elles ont l'air malade sur les photos. Et les filles malades, ça ne fait pas vendre.
Ce livre fait froid dans le dos. A mettre entre toutes les mains des adolescentes qui rêvent de devenir mannequin. En espérant que cela fasse bouger les choses.
Et messieurs dames les créateurs de mode, arrêtez de vouloir nous faire croire que la mode sublime les femmes. Les femmes n'ont pas besoin de cette mode-là pour être belles.

lundi 8 février 2016

D'après une histoire vraie

C'est le premier livre de Delphine de Vigan que je lis. Je n'avais jamais entendu parler de son précédent roman, un best-seller, et "Rien ne s'oppose à la nuit" m'évoque surtout Alain Bashung. J'avais regardé d'un œil distrait l'interview de l'auteur dans le magazine de la santé mais sans vraiment faire attention à ce qu'elle disait. Aussi est-ce sans a priori mais avec beaucoup de curiosité que j'ai commencé ce roman (paru en 2015 chez JC Lattès), offert par mon beau-père, chose curieuse car je n'ai pas souvenir d'avoir parlé de lecture avec lui et je n'ai aucune idée du genre de livres qu'il apprécie.


"Ce livre est le récit de ma rencontre avec L. L. est le cauchemar de tout écrivain. Ou plutôt le genre de personne qu'un écrivain ne devrait jamais croiser."

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C'est donc l'histoire de Delphine, écrivain, la quarantaine, qui termine la promo de son dernier livre qui a eu un succès aussi retentissant qu'inattendu pour elle. Elle est physiquement et moralement épuisée, d'autant plus que son livre est très intime, autobiographique. Elle décide donc de faire une pause, notamment pour profiter de ses enfants qui partiront étudier loin à la rentrée prochaine, avant de se lancer dans l'écriture d'un nouveau roman, qui sera une fiction cette fois.
Elle fait alors la rencontre de L. L. est un peu tout ce que Delphine n'est pas. Elle est toujours impeccable, bien coiffée, bien maquillée, bien habillée. Toujours à l'aise en société, toujours de bonne humeur, toujours à l'écoute, elle a un don pour capter tout de suite ce qui ne va pas chez les autres. Elles ont aussi beaucoup de choses en commun, notamment l'écriture. L. est nègre, elle écrit la vie des autres en restant dans l'ombre. Elles deviennent très vite proches. L. lui pose alors des questions sur son prochain livre: que va-t-elle écrire après ça? Delphine lui parle de son projet mais elle doute. L. lui certifie qu'elle doit continuer dans la veine de son dernier livre, dans le vrai, qu'elle ne peut pas revenir à la fiction.
Delphine est déstabilisée, elle n'arrive pas à se remettre à écrire. Et les lettres anonymes odieuses, lui reprochant d'avoir fait beaucoup de mal autour d'elle avec son dernier livre, ajoutent à son désarroi. Pourtant elle n'en parle à personne, sauf à L., et se contente de donner le change. Heureusement, L. est là pour la rassurer et faire tout ce qui est en son pouvoir pour qu'elle soit dans de bonnes conditions pour écrire. Ecrire ce fameux livre encore plus intime. Mais L., lui veut-elle vraiment du bien?

Cette histoire est constamment entre deux eaux. La narratrice ressemble furieusement à l'auteur, pourtant c'est un roman. A-t-elle, elle aussi, rencontré quelqu'un comme L. après le succès fulgurant de son précédent livre? Ou bien a-t-elle tout inventé? Quelle est la part de réel? Quelle est la part de fiction? Et c'est là tout l'art de ce roman, laisser le lecteur essayer de démêler le vrai du faux, tout en assistant, impuissant à l'emprise grandissante de L. sur Delphine. On les voit, les petites manœuvres, toute en finesse, de L. On a envie de hurler à Delphine ce qui est en train de se passer. Mais Delphine est comme tout le monde, c'est quand on a les choses sous le nez qu'on les remarque le moins. Comment va-t-elle pouvoir sortir de cette situation? Va-t-elle seulement y arriver?
Finalement, est-ce bien important de savoir si c'est vrai ou non, du moment que l'histoire est bonne?

lundi 1 février 2016

Février: Cowboys et/ou Indiens. Pour les cowboys, ça peut être des temps modernes avec de belles santiags.

Pour ce thème, mon choix s'est porté sur Brokeback Mountain d'Annie Proulx, nouvelle parue en 1997 dans le New Yorker (2001 pour la traduction française dans le recueil Les Pieds dans la boue, éditions Payot, rééditée seule en 2006 chez Grasset).


Brokeback Mountain: un bout de terre sauvage, hors du temps, dans les plaines du Wyoming. Ennis del Mar et Jack Twist, cow-boys, nomades du désert américain, saisonniers des ranchs, n'ont pas vingt ans. Ils se croisent le temps d'un été. La rencontre est fulgurante. Ni le temps, ni l'espace, ni les non-dits, ni la société n'auront raison de cet amour - que seule brisera la mort.

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Alors, par où commencer? Par le film peut-être. Je l'ai vu plusieurs fois, j'ai adoré (et j'ai pleuré comme une madeleine). Aussi étais-je curieuse de découvrir le livre qui en était à l'origine. On est souvent déçu quand on se rend compte que certains passages d'un livre ont été escamotés dans le film ou à l'inverse heureux de découvrir des détails supplémentaires au long des pages. Tout dépend si l'on commence par le livre ou le film.
Ici la situation est tout autre puisqu'il s'agit d'une nouvelle. J'ai été surprise par la brièveté du récit., je l'ai lu d'une traite. Mais pourtant tout y est: ces deux jeunes hommes, pauvres, errant d'un job minable à un autre, coincés dans une vie formatée qui ne leur convient pas mais dont ils sont pourtant incapables de sortir. Et la vie n'est pas tendre avec eux, elle ne leur a pas fait de cadeau et ne leur en fera pas. Sauf peut-être cet amour qui les unit, seul point fixe dans leur quotidien misérable. On peut les aimer, les détester, leur reprocher les choix qu'ils ont faits ou au contraire ceux qu'ils n'ont pas faits, mais en tout cas, on ne peut pas rester indifférent. On souffre avec eux. J'ai souffert avec eux.
L'histoire a été étoffée dans le film, notamment du côté de Jack Twist, le récit initial se déroulant du point de vue d'Ennis. Le texte est rude, abrupt, sans chichis, presque sans émotion. J'avoue avoir préféré le film qui a su faire ressortir toutes ces émotions contenues, qui a sublimé cet amour secret, interdit mais si beau.
Mais peut-être la nouvelle est-elle à l'image de ses personnages: sobre, sans artifice, dans le vrai tout simplement.